Category: Livres,Romans et littérature,Poésie
L'Amour de Pierre Neuhart Details
" Allons, je ne vais pas tomber amoureux d'une fillette ", songe Pierre Neuhart. L'industriel rustaud a conservé ses ambitions de jeune homme, artiste déclassé qui espère parvenir dans le monde par les femmes. Ému par la fragilité d'Éliane, jeune fille sensuelle et ingénue, il subit caprices et colères. Et l'amour embrase toute sa vie. Emmanuel Bove (1898-1945) est un écrivain majeur de l'entre-deux-guerres. Il a été révélé par Colette qui a publié son premier roman, Mes Amis. Son œuvre est également saluée par la critique et le public. Son roman Le Pressentiment, adapté au cinéma par Jean-Pierre Darroussin, est disponible en Points. " Bove, c'est ça. Un pointillisme brutal. Ses romans continuent d'enflammer ceux qui s'en approchent. "Lire
Reviews
Qui aime la Littérature ne peut qu'aimer Emmanuel Bove, du moins ai-je la faiblesse de le penser. Moi, en tout cas, c'est toujours d'une main émue et le coeur palpitant que j'ouvre ses livres tant le plaisir qu'ils me procurent est intense. J'aime la petite musique discrètement mélancolique de l'écriture bovienne. J'aime les personnages à la fois réalistes et décalés qu'elle met en scène. J'aime l'extrême finesse de cette prose qui sait aller fouiller le tréfonds des êtres avec des mots de tous les jours. Le domaine de Bove, ce qu'il excelle à exposer, c'est l'invisible, l'indicible, l'infiniment ténu, ces mille et un sentiments arachnéens qui nous peuplent parfois à notre insu et forment en réalité notre essence même. On a dit de ce cher Emmanuel qu'il fut un précurseur de l'existentialisme et ma foi c'est peut-être vrai, mais il fut aussi un disciple de Proust, dont il possédait la sidérante subtilité d'analyse, ainsi qu'en témoigne ce bref roman d'une centaine de pages paru en 1928.L'histoire se déroule à Paris dans les Années Folles. Industriel confortablement installé dans l'existence, Pierre Neuhart tutoie la quarantaine. A défaut de bonheur, il jouit d'une quiétude bourgeoise. Aucun souci matériel. Aucune angoisse métaphysique. Mais notre homme n'aime guère son métier, non plus que le milieu prosaïque dans lequel il évolue. Causer chiffres et rendement à longueur de journées l'ennuie. Or voilà qu'au hasard d'une soirée dans un salon "bohème" il croise une certaine Eliane et tombe sous son charme. C'en est fait de sa tranquillité! Le voilà envoûté par cette jeune fille qu'il se met à fréquenter. De fil en aiguille, Eliane vient vivre sous son toit, mais la passion de Pierre Neuhart tourne bientôt au cauchemar. Eliane se révèle changeante, capricieuse, frivole, voire manipulatrice, quand elle n'est pas carrément vénale. Jouant de son pouvoir, elle tourne son amant en bourrique, en fait une vraie marionnette, obtient de lui ce qu'elle veut à la moindre bouderie. Conscient de sa déchéance, Neuhart voudrait réagir et briser l'enchantement malsain de cette relation perverse, mais en trouvera-t-il la force?Certains exégètes de ce livre y voient une prémonition de "Lolita", écrit un quart de siècle plus tard. Il y a évidemment des accointances entre les deux oeuvres mais le propos de Bove et celui de Nabokov me semblent toutefois très différents. "Lolita" est le récit éminemment subjectif que fait un homme mûr de sa relation sulfureuse avec une "nymphette" de treize ans. Ici, même si Eliane est fort jeune, on a une histoire d'amour plus classique, narrée de manière impersonnelle, d'une plume quasi-clinique dans ses observations. Le hic, bien sûr, c'est que cette histoire d'amour est à sens unique. Alors que Pierre Neuhart se prend pour Eliane d'une passion maladive, Eliane, elle, se laisse simplement vénérer comme on reçoit un dû. Telle une enfant gâtée, elle use de son ascendant sur Neuhart pour qu'il satisfasse toutes ses lubies. Veut-elle une robe ou un coûteux bijou? Hop, un petit coup de charme ou un mouvement d'humeur habilement calculé et voilà ce pauvre Pierre qui se plie à ses moindres désirs, quitte à se ruiner au passage. Ce roman, c'est un double portrait d'une remarquable subtilité psychologique. Le portrait d'une toute jeune femme paradoxale, à la fois ingénue et sans scrupules, qui se sert de l'amour qu'on lui porte pour en abuser, et le portrait d'un quadragénaire saisi d'une passion irrationnelle et incapable d'enrayer la spirale destructrice de cette passion.Trop peu connu hélas, ce livre de toute beauté traverse les décennies avec une grande élégance. Bien qu'inscrite dans une époque lointaine, son histoire est de tout temps car elle explore la nature humaine. Quant à la prose de Bove, comme d'habitude, c'est de la dentelle. Une dentelle d'autant plus chère à mon coeur qu'on y croise de somptueux imparfaits du subjonctif...
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